Tata sénégalais de Chasselay

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Tata sénégalais de Chasselay
Nécropole nationale de Chasselay
Vue d'ensemble du tata sénégalais de Chasselay.
Pays
Drapeau de la France France
Département
Rhône
Commune
Chasselay
Superficie
785 m2
Personnes
196
Mise en service
Coordonnées
45° 52′ 56″ N, 4° 45′ 17″ EVoir et modifier les données sur Wikidata
Carte

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Le tata de Chasselay, officiellement nécropole nationale de Chasselay, est un cimetière militaire de la Seconde Guerre mondiale, située sur le territoire de la commune de Chasselay dans le département du Rhône, au lieu-dit du « Vide-Sac ».

Y sont inhumés 196 personnes (188 tirailleurs originaires de différents pays d'Afrique de l'Ouest, 6 soldats d'Afrique du Nord, et 2 légionnaires), tous massacrés par l'armée allemande en . D'après les photographies retrouvées en , il semblerait que ce massacre soit imputable à la 10e Panzerdivision de la Wehrmacht, imprégnée de propagande raciste.

Cette nécropole a été construite selon le style d'architecture de l'Afrique de l'Ouest. Le mot tata est d'origine mandingue[1]. Dans cette langue et d'autres comme le wolof, il signifie « enceinte fortifiée », mais ici il prend le sens d'« enceinte sacrée » dans laquelle on enterre les guerriers morts au combat selon la conception du constructeur du lieu, Jean-Baptiste Marchiani[2],[3].

Histoire

Article détaillé : Bataille de la vallée du Rhône (1940)#Défense de Chasselay par les troupes françaises.

Contexte

Du au , à Chasselay, les troupes coloniales sénégalaises de l'armée française retardent l'entrée des troupes allemandes dans Lyon, déclarée « ville ouverte » le .

La défense s'organise, le , à Chasselay, village situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Lyon. Des barricades sont dressées, grâce aux soldats du 405e RADCA de Sathonay, du 25e régiment de tirailleurs sénégalais, de légionnaires et aussi avec l'aide de civils.

N'ayant rencontré que très peu de résistance depuis Dijon, les Allemands arrivent le , près du couvent de Montluzin. De durs et violents combats entre troupes allemandes et françaises se soldent par 51 morts dont une civile du côté français, et plus de 40 blessés pour les Allemands.

Massacre de Chasselay

Le , à l'issue d'une deuxième bataille, au château du Plantin, les prisonniers, au nombre d'environ 70, sont divisés en deux groupes, les soldats français blancs d'un côté, les Noirs de l'autre.

Après avoir parcouru deux kilomètres à pied, les soldats français sont allongés dans l'herbe sous la menace de leurs gardes armés[4]. Le long d'un pré, ils assistent au massacre des soldats sénégalais par des mitrailleuses et pour certains écrasés par les chars d'assaut[5]. Le capitaine Gouzy tente de s'interposer pour protéger ses hommes et reçoit une balle allemande dans le genou[6]. Les Français blancs sont emprisonnés à Lyon. Deux jours durant, les Allemands recherchent les soldats des colonies que les habitants cachent et soignent. Une fois capturés, ces soldats seront brûlés vifs ou exhibés en trophées sur les chars de combat[6].

Horrifiés par le massacre, les habitants de Chasselay enterrent les corps des Africains : dès le lendemain, une soixantaine de volontaires procèdent à l'inhumation des soldats dans une fosse commune. Les effets personnels sont rassemblés pour procéder à l'identification des victimes.

Responsabilités du massacre

En l'absence d'indice, le massacre est d'abord attribué à la 3e division SS Totenkopf (« tête de mort »). En , l’historien Raffael Scheck pense que les chars ayant participé au massacre ne sont pas forcément issus de cette division SS comme souvent supposé, mais peuvent être des chars régimentaires de la division d'infanterie mécanisée Großdeutschland, ou encore de la 10e Panzerdivision, envoyés en renfort du fait de la résistance inattendue des Français[7].

L'acquisition en par un collectionneur français d'un album de photographies proposées à la vente sur internet par un brocanteur allemand permet de lever le doute sur les coupables de ces exactions : sur une double page de l'album, 8 clichés montrent le déroulement du massacre d'une colonne de prisonniers français noirs. L'historien Julien Fargettas, avec qui le collectionneur a pris contact, fait le rapprochement avec le massacre de Chasselay et attribue avec certitude ce crime à « deux chars de la 2e section de la 3e compagnie du 8e régiment de Panzer, intégrés à la 10e Panzerdivision »[8], confirmant une des hypothèses émises par Scheck[9],[10]. L'analyse de ces clichés permet aussi d'invalider l'hypothèse de la mise à mort de combattants par écrasement à l'aide des chars[11].

Cette découverte donne lieu à une nouvelle série d'articles dans la presse rappelant le massacre[4],[12],[13].

Construction du tata et postérité

Jean Marchiani, vétéran de la Première Guerre mondiale et secrétaire général de l'Office départemental des mutilés, combattants, victimes de la guerre et pupilles de la Nation, mobilise les anciens combattants locaux pour leur rendre hommage. N'ayant pas réussi à obtenir un financement de la part du gouvernement de Vichy, il finance lui-même l'achat du pré[14]. D'abord réticent à un hommage qui pourrait froisser les Allemands, Vichy autorise finalement le regroupement des corps en , au moment où les colonies d'Afrique sont peu à peu reprises par la France libre[4]. Jean Marchiani fait alors construire une nécropole, sur le modèle des constructions du Soudan français (actuel Mali), réalisé en terre et de couleur rouge ocre, pour rassembler les corps des soldats tombés lors des massacres de et enterré à la hâte en divers endroits. Le Tata est finalement inauguré le [15], 3 jours avant l'invasion de la zone libre. Il comporte 196 tombes, 194 soldats coloniaux (dont six maghrébins) et deux légionnaires, un Russe et un Albanais[6].

Après la guerre, la IVe République tente de conserver son empire colonial en créant l'Union française. La symbolique du tata de Chasselay est alors mobilisée pour de grandes cérémonies ; le président de la République, Vincent Auriol, s'y rend par exemple en . Mais l'empire ne survivra pas et le Tata de Chasselay tend de plus en plus à se limiter à un site d'histoire locale, même si en la Ve République le déclare « nécropole nationale »[4],[16].

Une cérémonie officielle continue cependant de se tenir tous les ans, le , à Chasselay, où sont présents des représentants sénégalais et français[4],[16]. En , une trentaine de sans-papiers de l'église Saint-Bernard assistent à cette cérémonie[17]. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a visité le tata le [18].

En et , l'enceinte, qui avait souffert des outrages du temps, fait l'objet d'une rénovation. Dalles et tombes sont également rafraîchies[19], ainsi que le portail et les masques dont il est orné[19].

Le [9], Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées rend hommage aux tirailleurs sénégalais au tata : « Cette nécropole symbolise une part de l’histoire militaire de notre pays et rappelle constamment le sacrifice des combattants africains. Le Tata de Chasselay est une sentinelle de la mémoire partagée entre la France et l’Afrique, un dépositaire de nos histoires entremêlées ; un gardien des liens indéfectibles entre les rives de la Méditerranée… Les combattants africains ont payé un lourd tribut pour défendre une terre lointaine »[6].

Le site est entretenu par l'Office national des combattants et des victimes de guerre du Rhône[9].

Description

Généralités

Ce cimetière de 785 m2, de forme rectangulaire, est d'architecture néo-soudanaise[20]. Il abrite 198 stèles identiques dont 2 sont dédiées à la mémoire des soldats français morts le , et les 196 stèles autres sont marquées des noms des tirailleurs morts, sauf 50 où il est indiqué « Inconnu »[2]. Elles sont entourées de murs d'enceinte de 2,80 mètres de hauteur, de couleur ocre, dont le porche et les tourelles aux quatre angle sont surmontés de pyramides quadrangulaires bardées de pieux. Le portail à claire-voie, en chêne massif, est orné de huit masques africains.

On a fait venir de la terre de Dakar par avion, pour la mélanger à la terre française lors de l'inauguration du lieu le [21].

Le drapeau tricolore implanté en son centre « matérialise [...] les sentiments de la reconnaissance nationale »[2].

Oratoire

En face de l'entrée, au bout de l'allée centrale, une case acollée au mur d'enceinte sert d'oratoire, accueillant les dépôts de gerbes et offrandes lors des cérémonies. Elle est surmontée d'une croix latine encadrée de deux croissants musulmans. Sur le mur du fond, une plaque commémorative reproduit la citation à l'ordre de l'armée de la 3e compagnie du 25e régiment de tirailleurs sénégalais, comportant attribution de la croix de guerre avec palme :

« Splendide unité qui sous les ordres du Capitaine Gouzy, chef résolu, énergique et brave, a fait preuve des plus hautes qualités militaires en assurant sans défaillance et dans des conditions particulièrement difficiles, la défense du terrain confié à sa garde.

Les et au Château de Montluzin et à Chasselay, complétement encerclée et assaillie par des forces très supérieures en nombre et en moyens, comportant notamment de l'artillerie et des chars, s'est maintenue sur place pendant deux jours. N'a succombé dans cette lutte inégale qu'après avoir opposé une résistance farouche et causé des pertes sévères à l'ennemi. A poussé l'héroïsme jusqu'au sacrifice total.

Le
Signé : Dentz »

Plaques posées en

Le ont été ajoutées deux plaques commémoratives portant les noms de 25 tirailleurs jusqu'à cette date inconnus[22]. Un communiqué de presse des armées affirme que ces 25 tirailleurs ont été identifiés grâce à des recherches génétiques. L'historienne Armelle Mabon a mis en avant à travers des textes polémiques que ces recherches génétiques n'ont en réalité jamais été menées[23],[24]. En effet, ce texte fut diffusé par erreur et retiré dès le lendemain de sa publication, les travaux historiques conduits par Julien Fargettas établissent le parcours de ces 25 tirailleurs[11]. Depuis, l'historienne Armelle Mabon a entamé des démarches auprès du tribunal administratif pour demander le retrait de ces plaques malgré la joie de cette reconnaissance formulée par certains descendants[25].

Postérité

Films

  • Le Tata, Paysage de pierres, documentaire de 60 min de Patrice Robin et Eveline Berruezo ().
  • Le cimetière Tata, mémoires des tirailleurs sénégalais, documentaire de Rafael Gutierrez et Dario Arce (). Le cimetière Tata est le point de départ d'un film qui questionne l'histoire de la France coloniale comme celle des héros oubliés ou instrumentalisés. Une histoire encore problématique aujourd'hui. Il a été produit par la société C Productions Chromatiques, de Lyon.

Théâtre

  • Tam-tam au Tata : Évocation théâtrale de l'ombre d'un soldat inhumé au Tata sénégalais de Chasselay (Rhône) par Jacques Bruyas ().

Galerie de photographies

  • Vue intérieure du tata sénégalais de Chasselay.
    Vue intérieure du tata sénégalais de Chasselay.
  • Vue intérieure du tata sénégalais du Chasselay.
    Vue intérieure du tata sénégalais du Chasselay.
  • Le tata de Kédougou (Sénégal oriental).
    Le tata de Kédougou (Sénégal oriental).

Notes et références

  1. (en) Sirio Canós-Donnay, Fluid fortresses in changing states: Tàta in southern Senegal (13th–19th centuries AD), Dr. Rudolf Habelt, (ISBN 978-3-7749-4374-2, lire en ligne).
  2. a b et c Robin-Detraz 2020.
  3. Andrée Dore-Audibert, Une décolonisation pacifique : Chroniques pour l'histoire, Paris, Karthala, , 359 p. (ISBN 2-86537-950-7), p. 49 [lire en ligne].
  4. a b c d et e Benoît Hopquin, « Ces tirailleurs africains massacrés par les nazis », Le Monde, , p. 22–23.
  5. Scheck 2007, p. 56–57.
  6. a b c et d Pierre Lepidi, « Le village de Chasselay rend hommage à ses tirailleurs africains morts pour la France », Le Monde, (consulté le ).
  7. Scheck 2007, p. 245-246.
  8. Christian Eboulé, «  : les tirailleurs sénégalais sont massacrés à Chasselay », TV5 Monde, (consulté le ).
  9. a b et c Sylvie Adam, « Hommage : Il y a 80 ans, 48 tirailleurs sénégalais étaient exécutés par les allemands à Chasselay, dans le Rhône », France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, (consulté le ).
  10. Viviane Forson, « Chasselay questionne à la fois le racisme, le nazisme et la colonisation », Le Point, (consulté le ).
  11. a et b Fargettas 2020.
  12. Pascal Blanchard et Aïssata Seck, « Tribune. "Le racisme tue : souvenons-nous des massacres de Chasselay de " », Le Journal du dimanche, (consulté le ).
  13. « Les Chères/Chasselay. Ces huit photos qui ont permis de faire la lumière sur un massacre », Le Progrès, (consulté le ).
  14. Julien Fargettas, Les tirailleurs sénégalais : Les soldats noirs entre légendes et réalités , Paris, Tallandier, , 381 p. (ISBN 978-2-84734-854-5 et 978-2-84734-942-9, DOI 10.3917/talla.farge.2012.01).
  15. Scheck 2007, p. 181–182.
  16. a et b Robin-Detraz 2019, chap. 2 « Sémiotique du cimetière africain. Les régimes mémoriels du Tata », p. 26-31.
  17. Béatrice Bantman, « Des sans-papiers rendent hommage aux tirailleurs sénégalais... », Libération, .
  18. Aïdara 2009.
  19. a et b « Le Tata sénégalais de Chasselay », sur le-transit.fr, (consulté le ).
  20. Thiam-Sabine 2023.
  21. Bakari Kamian, Des tranchées de Verdun à l'église Saint-Bernard : 80 000 combattants maliens au secours de la France, 1914–18 et 1939–45, Paris, Karthala, , 468 p. (ISBN 2-84586-138-9), p. 206 [lire en ligne].
  22. « Chasselay : hommage au tata sénégalais », BFM TV, (consulté le ).
  23. Armelle Mabon, « Le « Tata », les tirailleurs et les tests ADN bidon », sur Afrique XXI, (consulté le ).
  24. Justine Brabant, « Tirailleurs sénégalais : le ministère des armées a inventé des « recherches génétiques » », sur Mediapart, (consulté le ).
  25. M. Brossard et A. Brossard, « La réhabilitation d'un tirailleur africain 80 ans après », Journal de 13 heures de TF1, sur TF1 Info, .

Voir aussi

Bibliographie

  • Moulaye Aïdara, « Le Tata sénégalais de Chasselay, « une présence africaine » », Écarts d'identité, no 115,‎ , p. 51–57 (lire en ligne).
  • Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives, Nécropole nationale de Chasselay (69) : Le "tata" des tirailleurs sénégalais, Paris, Ministère de la Défense, SGA, coll. « Mémoire de pierre » (no 11), , 8 p. (BNF 40081042).
  • Julien Fargettas,  : Combats et massacres en Lyonnais, Paris, Éditions du Poutan, , 190 p. (ISBN 978-2-37553-075-7).
  • William Robin-Detraz, Le Tata sénégalais de Chasselay : Ancrage spatial et appropriations de la mémoire des tirailleurs sénégalais (mémoire de master 1 en Sciences sociales), Lyon, ENS de Lyon, , 112 p. (lire en ligne Accès libre [PDF]).
  • William Robin-Detraz, « Haut-lieu et appropriations de la mémoire des tirailleurs sénégalais : Le Tata de Chasselay (69) », Bulletin de l'association des géographes français, vol. 97, no 3,‎ , p. 280–303 (DOI 10.4000/bagf.6883, lire en ligne Accès libre).
  • Raffael Scheck (trad. de l'anglais américain par Éric Thiébaud), Une saison noire : Les massacres de tirailleurs sénégalais,  – , Paris, Tallandier, , 287 p. (ISBN 978-2-84734-376-2).
  • Yérim Thiam-Sabine, « Le tata sénégalais de Chasselay : Une architecture néo-soudanaise en France », dans Mémoires africaines (congrès), Lyon, musée des Confluences, (HAL hal-04306394).

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Articles connexes

Liens externes

  • Notices d'autoritéVoir et modifier les données sur Wikidata :
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  • « Le Tata sénégalais de Chasselay », sur cheminsdememoire.gouv.fr, ministère des Armées.
  • Antoine Ganne, « Le Tata sénégalais de Chasselay », sur Afrik.com, .
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